En 1993, Les Thugs étaient toujours là, ils avaient survécu aux différentes vagues musicales qu’ont été l’alternatif franchouillard, le grunge ricain, et le retour du retour d’un certain rock anglais. Les Thugs étaient alors considérés comme la tête de proue d’une scène indépendante française et enfin reconnus par les médias, en grande partie suite à leur signature sur le label américain du moment, Sub Pop, et à leur affiliation avec Nirvana. Les Thugs eux n’avaient pas changé, ou juste de bassiste, et avaient su rester intègres, sans devenir intégristes, cela sans faire aucune concession ni se plaindre de leur sort. Il y avait, de leur part, un vrai dégoût de tout, un refus de cautionner le monde dans lequel ils vivaient, de faire tourner la machine mondialiste, une volonté de dire non au travail, à l’information détournée, à la politique du plus fort. Bref "Strike" prenait alors la forme d’une désobéissance civile et allait contenir douze revendications d’un Front International Contre l’Ennui ! L’ensemble fut enregistré en huit jours sous la houlette de Steve Albini, connu pour son travail avec Nirvana ou PJ Harvey. L’homme débarqua dans la campagne angevine avec ses valises remplies de bons vieux micros d’antan, normal pour cet Américain plus sorcier du son que producteur. J’étais venu voir mes Thugs au travail. L’ambiance était plutôt décontractée, les prises sonnaient brutes de décoffrage, les discussions filaient bon train en pleine démocratie, ou plus exactement, comme ils aimaient le dire, en pleine "Gueulocratie" avec cette défiance naturelle envers la redite musicale, car les Thugs, 13 années plus tard, étaient toujours les mêmes. A l’écoute des chansons, la première remarque fut vocale, jamais le chant n’avait été aussi partagé entre les frères Sourice , Eric en chantait cinq, Christophe quatre et Pierre-Yves une. La deuxième se situait au niveau des tempos plus moyens que d’habitude, qui laissaient une marge de manœuvre plus large pour des textures de chansons plus pop. "Strike", "Waiting" "New Day" en sont le parfait exemple. "Summer" reste à mes yeux la pépite de l’album, la parfaite chanson qui réussit à réunir le punk, la pop et le rock’n'roll et plus nommément PIL, REM et les Stooges sur la même chanson. Comme d’habitude des "instruthugs", toujours aussi réussis, dont "So Heavy" avec ce sifflet magique qui surfe sur le mur du son de Thierry Méanard, le roi rythmique des Thugs, allergique au solo et puis surtout l’hymne à la Femme qu’est "Allez les filles". Juste la trouvaille du titre en fait un must et le plus beau T.shirt des Thugs pour la tournée qui emmènera le groupe en France et aux Etats-Unis. Le tout était enrobé dans une pochette flamboyante car la situation était plus que jamais dans le rouge, avec une image de lutte passée, féminine en l’occurrence, une manière d’affirmer que la lutte devait continuer et qu’il fallait prendre position toujours et encore. Comble de l’ironie, "Strike" sortait le 17 janvier 1996, un mois après une longue et dure grève en France. La presse voyait là un don de voyance de la part des Thugs. Eux s’empressaient de dire que le disque avait été fait bien avant ce conflit. Et puis, en y réfléchissant bien, Les Thugs avaient bien ce don, car, à travers "Strike", ils décrivaient la situation dans laquelle nous sommes actuellement. Voilà, aujourd’hui les Thugs se sont éteints après une carrière exemplaire, voici la réédition de "Strike", agrémentée pour l’occasion de 5 titres bonus, le remix de "Strike" de Jon Auer, un inédit "The Name" produit pour une démo par Gilles Théolier et trois titres live enregistrés à Angers en 1996.